Enseignement supérieur : comment évolue la composition sociale des filières ?
Le processus de démocratisation de l’enseignement supérieur semble en panne si l’on en croit la composition sociale de ses différentes filières. La part des étudiants d’origine populaire stagne depuis quinze ans alors que celle des enfants de cadres continue à augmenter. Une analyse de Jérémie Martin-Kleinbauer et Louis Maurin de l’Observatoire des inégalités.
Publié le 27 février 2025
https://www.inegalites.fr/Enseignement-superieur-comment-evolue-la-composition-sociale-des-filieres - Reproduction interditeIl existe deux manières d’évaluer la démocratisation de l’enseignement supérieur. D’un côté, on peut observer la proportion d’enfants qui, dans chaque milieu social, obtient un certain niveau de diplôme. On peut aussi mesurer l’évolution de la composition sociale des différentes filières, c’est-à-dire la répartition des étudiants selon leur origine sociale. Nous publions des données sur l’évolution de la composition sociale des étudiants inscrits à l’université, qui préparent un brevet de technicien supérieur (BTS), qui sont en classes préparatoires des grandes écoles ou au sein des écoles normales supérieures (les plus sélectives des grandes écoles). L’ouverture sociale de l’enseignement supérieur semble stoppée depuis une quinzaine années.
À l’université, la part des enfants de cadres reste stable : elle est de 35 % en 2024, comme en 2009. Celle des ouvriers a baissé, de 11 % à 9 %. En BTS, la part des ouvriers a aussi peu évolué (autour de 21,5 %) sur la même période, comme celle des cadres (16 %). Dans les formations les plus élitistes, les étudiants enfants de cadres ont gagné trois points en classes préparatoires (de 51 % à 54 %), mais du côté de ceux d’ouvriers, l’augmentation a seulement été d’un demi-point (de 5,9 % à 6,4 %). Tout en haut de la pyramide de l’enseignement supérieur, au sein des écoles normales supérieures, les premiers ont gagné 3,5 points (de 61,4 % à 64,9 %), les seconds ont décliné de 0,8 point (de 2,8 % à 2 %).
Attention tout de même. Ces chiffres reflètent le processus d’ouverture ou de fermeture sociale de l’enseignement supérieur, mais aussi l’évolution de la population active, des parents des élèves concernés. Or depuis plusieurs décennies, la part des ouvriers parmi les actifs diminue, pendant que celle des cadres augmente. Par ailleurs, la catégorie « retraités et inactifs » est loin d’être homogène et comprend une part importante de parents de milieux populaires, mais aussi des retraités cadres (en très faible proportion), ce qui dénature le raisonnement. Le ministère de l’Éducation ne publie pas de données sur la composition sociale des parents, notamment pour les élèves de l’enseignement supérieur. On sait cependant qu’au collège – niveau où l’origine des élèves reflète leur part dans la population totale – la part des enfants de cadres a augmenté de 2,7 points et celle des enfants d’ouvriers a diminué de 4,9 points entre 2009 et 2024.
Pour tenter de réduire l’effet de l’évolution de la structure sociale, on peut rassembler les élèves dont les parents sont employés ou ouvriers, deux catégories très proches par les qualifications et les rémunérations, qui forment ce qu’on appelle les « catégories populaires » et représentent ensemble un peu moins de la moitié des actifs. Leur proportion dans l’ensemble a peu évolué au cours de la période que nous observons, entre 2009 et 2024. Quelles que soient les filières observées, leur part continue à progresser lentement jusqu’en 2019 (2014 pour les écoles normales supérieures), puis stagne, voire diminue légèrement, dans la période récente.
On notera ce qui se joue du côté des classes moyennes. La part des professions intermédiaires, le cœur de la société française, a diminué en BTS, dans les classes préparatoires et dans les écoles normales supérieures au cours des quinze dernières années. Il s’agit pourtant de catégories en expansion dans la population totale.
Est-ce la fin d’une période de démocratisation de l’enseignement supérieur ? Il est encore trop tôt pour le dire. Il devient de plus en plus clair qu’au sommet de la pyramide, rien ne se passe : les discours sur la démocratisation des grandes écoles, sur les filières spéciales destinées à intégrer quelques élèves des quartiers populaires, ont vocation à donner le change et contribuent à conserver un système socialement élitiste. Ainsi, au sein des écoles normales supérieures, on ne compte que 2 % d’enfants d’ouvriers et 8 % d’enfants d’employés alors qu’ils représentent presque la moitié des étudiants. À l’université et au sein des sections de techniciens supérieurs, la situation est plus incertaine : l’ouverture sociale semble aussi mise en pause. Pour se prononcer sur cette évolution, il faudrait disposer de données plus fines, par niveau (licence, master, doctorat) et discipline.
Répartition des élèves selon leur origine sociale et leur filière dans l’enseignement supérieur Unité : % | |||||
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2009 | 2014 | 2019 | 2024 | Évolution 2009-2024 en points | |
Université | |||||
Agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise | 9,5 | 10,4 | 9,4 | 8,7 | -0,8 |
Cadres et professions intellectuelles supérieures | 34,9 | 34,2 | 33,3 | 34,9 | 0,0 |
Professions intermédiaires | 16,0 | 14,4 | 14,8 | 16,1 | 0,1 |
Employés | 15,0 | 14,1 | 16,7 | 18,3 | 3,3 |
Ouvriers | 11,4 | 12,1 | 11,3 | 8,7 | -2,7 |
Retraités et inactifs | 13,3 | 14,8 | 14,5 | 13,4 | 0,1 |
Ensemble des étudiants de l’université | 100 | 100 | 100 | 100 | |
BTS | |||||
Agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise | 12,8 | 12,0 | 12,5 | 11,4 | -1,4 |
Cadres et professions intellectuelles supérieures | 15,9 | 16,4 | 15,6 | 15,9 | 0,0 |
Professions intermédiaires | 15,1 | 14,4 | 14,6 | 14,7 | -0,4 |
Employés | 17,1 | 18,3 | 19,6 | 19,3 | 2,2 |
Ouvriers | 21,4 | 23,9 | 23,5 | 21,6 | 0,2 |
Retraités et inactifs | 17,6 | 15,0 | 14,2 | 17,2 | -0,4 |
Ensemble des élèves de BTS | 100 | 100 | 100 | 100 | |
Classes préparatoires aux grandes écoles | |||||
Agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise | 10,5 | 11 | 11,1 | 10,4 | -0,1 |
Cadres et professions intellectuelles supérieures | 50,9 | 52 | 51,6 | 53,7 | 2,8 |
Professions intermédiaires | 13,4 | 13 | 12,7 | 12,3 | -1,1 |
Employés | 9,5 | 10 | 11,1 | 10,9 | 1,4 |
Ouvriers | 5,9 | 7 | 7,0 | 6,4 | 0,5 |
Retraités et inactifs | 9,8 | 7 | 6,6 | 6,2 | -3,6 |
Ensemble des élèves de classes préparatoires | 100 | 100 | 100 | 100 | |
Écoles normales supérieures | |||||
Agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise | 8,7 | 13 | 6,8 | 6,4 | -2,3 |
Cadres et professions intellectuelles supérieures | 61,4 | 59 | 62,5 | 64,9 | 3,5 |
Professions intermédiaires | 12,2 | 12 | 10,5 | 10,1 | -2,1 |
Employés | 6,9 | 8 | 7,0 | 7,7 | 0,8 |
Ouvriers | 2,8 | 3 | 2,3 | 2,0 | -0,8 |
Retraités et inactifs | 8,1 | 4 | 11,0 | 9,0 | 0,9 |
Ensemble des élèves d'écoles normales supérieures | 100 | 100 | 100 | 100 |
Source : ministère de l'Éducation nationale – Données 2023-2024 – ©Observatoire des inégalités
Photo / CC Guillaume Speurt, Wikimedia commons
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