L’école française marquée par les inégalités sociales
Les inégalités sociales d’éducation se construisent dès l’école élémentaire et s’aggravent au fil du parcours scolaire. Le constat est établi mais les politiques ne suivent pas. Une grande hypocrisie. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.
Publié le 2 septembre 2024
https://www.inegalites.fr/L-ecole-francaise-marquee-par-les-inegalites-sociales - Reproduction interditeL’école française ne réduit pas assez les inégalités entre les catégories sociales. Les enseignements y sont très académiques et laissent peu de place à la pratique, l’expérience concrète. La compétition est exacerbée et un apprentissage précoce de la lecture favorisent les enfants de diplômés dès les petites classes. Certes, le lycée et l’enseignement supérieur se sont ouverts à de nouveaux publics dans les années 1970 et 1980 mais, au fond, contrairement aux autres pays d’Europe, l’école ne s’est pas adaptée à cette évolution en faisant évoluer les modes d’enseignement.
Dès la fin du primaire, les inégalités sont grandes : en sixième, 98 % des enfants des milieux les plus favorisés maitrisent bien ou très bien les compétences demandées en français, contre 76 % des enfants de milieux défavorisés. Le collège, qui accueille toutes les classes sociales, ne parvient pas à réduire ces écarts et, dès l’orientation de fin de troisième, les chemins divergent selon les milieux sociaux. En classe de première générale, on compte 36 % d’enfants de cadres supérieurs et 15 % d’enfants d’ouvriers, alors que ces deux catégories représentent la même proportion des collégiens, 23 % chacune.
Les inégalités se creusent ensuite. L’enseignement supérieur technique constitue une voie de promotion sociale pour une partie des catégories populaires, en particulier les BTS. Mais les filières qui mènent aux positions sociales les plus favorisées demeurent ultra-élitistes. On compte 53 % d’enfants de cadres dans les classes préparatoires aux grandes écoles et seulement 7 % d’enfants d’ouvriers. Cette situation est documentée de longue date. Aujourd’hui, la part des enfants des catégories populaires accédant à l’enseignement supérieur stagne. Si cette évolution était confirmée dans les années à venir, ce serait un coup de frein inquiétant à sa démocratisation. Au bout du compte, le niveau scolaire global demeure plutôt moyen dans la comparaison internationale, mais notre pays se trouve systématiquement dans le peloton de tête des pays riches plus inégalitaires.
L’immense majorité des commentateurs, qu’ils soient experts, journalistes ou politiques déplorent l’ampleur des inégalités sociales à l’école. Mais, depuis trente ans, les gouvernements successifs n’ont rien entrepris de majeur pour moderniser l’école et la rendre plus juste. Par exemple, la politique de réduction de la taille des classes en CP et CE1 va dans le bons sens, mais elle concerne moins de 20 % des élèves défavorisés de cet âge.
L’écart entre les discours et les actes est d’autant plus choquant qu’il s’accompagne de propos marqués sur la nécessité de rétablir « l’égalité des chances ». En pratique, cette inaction profite aux enfants de la bourgeoisie intellectuelle (ou du moins, parmi eux, à ceux qui arrivent à suivre le train qu’on leur fait subir). Chaque proposition de réforme est combattue à droite comme à gauche par les conservateurs de l’élitisme français. Les gouvernements successifs ont toujours plié devant eux. Comme l’ont montré les élections législatives de juin 2024, aucun des programmes des partis politiques français actuels ne comprend de réforme d’ampleur de notre système.
Louis Maurin
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