Entretien

Égalité entre femmes et hommes au travail : « On ne peut pas s’en tenir à un combat pour la parité dans les comités de direction »

L’égalité entre les femmes et les hommes au travail n’est toujours pas une réalité. On fait le point avec Anne Brunner. Entretien par Stéphanie Baranger et Maud Vaillant, extrait du magazine La vie en bleu CFTC.

Publié le 16 avril 2025

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Revenus Emploi Femmes et hommes Salaires Chômage

L’égalité… va-t-on finir par l’atteindre ?
Dans le débat public, lorsqu’on parle d’égalité entre les femmes et les hommes au travail, le premier sujet qui vient à l’esprit, c’est la question du salaire. Parce qu’un écart persiste entre le revenu que tirent salariées et salariés de leur travail. Si l’on continue au rythme des dix dernières années, il faudra encore au moins une génération – entre 25 et 30 ans – pour parvenir à l’égalité réelle.

Pourquoi ces inégalités de salaires persistent-elles ?
Quand on prend la somme de toutes les fiches de paie sur une année (en l’occurrence 2022), les femmes gagnent 24 % de moins que les hommes selon l’Insee. Le premier facteur d’explication, c’est le nombre d’heures travaillées dans l’année : les femmes sont beaucoup plus souvent à temps partiel et connaissent des périodes d’activité plus hachées. Les hommes font davantage d’heures supplémentaires.

Même si l’on compare à nombre égal d’heures travaillées, il reste un écart de salaire de 14 % entre les femmes et les hommes. Cet écart-là est principalement lié au fait que femmes et hommes n’exercent pas les mêmes métiers, pas dans les mêmes entreprises, pas dans les mêmes secteurs, pas aux mêmes niveaux hiérarchiques.

Enfin, une fois que l’on tient compte du métier exercé, il reste encore un écart de l’ordre de 4 % que les statisticiens ne peuvent pas expliquer. Là, on est au plus près – il faut rester prudent – de la mesure de la stricte discrimination salariale de la part de l’employeur. C’est la part contre laquelle tend à lutter l’index de l’égalité professionnelle [1].

C’est peu encourageant…
Ça va tout de même mieux. Au début des années 1960, les hommes gagnaient 60 % de plus que les femmes pour un temps complet ! L’écart est aujourd’hui de 16 % (entre femmes et hommes à temps complet). Il était de 22 % il y a dix ans. Il continue donc de diminuer, à un rythme certes moins rapide que dans les années 1970.

Il n’existe plus d’inégalité criante en matière de chômage ou d’emploi précaire (en CDD par exemple) : les taux entre les femmes et les hommes se sont équilibrés. Le taux d’activité des femmes s’est aussi rapproché de celui des hommes, même s’il persiste un écart de dix points.

Demeurent des écarts préoccupants. L’écart salarial de 24 % a un effet majeur sur l’autonomie économique des femmes, sur leur risque de basculer dans la pauvreté si elles se séparent – surtout si elles ont des enfants –, sur leur plus faible montant de pension de retraite. Seconde préoccupation : la part des femmes parmi les cadres est toujours minoritaire. Certes, elle est de 45 % aujourd’hui contre 22 % au début des années 1980. C’est une amélioration considérable. Mais, attention : les femmes sont aujourd’hui plus diplômées qu’avant. Il existe donc un décalage entre leur niveau de qualification et leur accès aux postes à responsabilités. Et, quand on affine notre analyse des hauts salaires, on constate que parmi les 10 % les mieux payés des salariés du privé, la part des femmes est de 34 % ; et de 23 % parmi le 1 % le mieux payé…

C’est le fameux « plafond de verre » ?
Tout à fait. Elles sont moins nombreuses parmi les cadres et encore moins nombreuses parmi les positions les mieux rémunérées. Les hommes continuent de truster la majorité des places les plus favorables.

Autre point qui a un effet énorme sur les écarts de salaires : le temps partiel. 27 % des femmes sont à temps partiel contre 9 % des hommes sur l’ensemble des personnes en emploi (privé et public confondus). Ce temps partiel est souvent subi : parmi les personnes qui voudraient un temps complet mais ne l’obtiennent pas, 72 % sont des femmes. Toute une partie des femmes qui travaillent à temps partiel sont jeunes, peu diplômées et n’ont pas d’enfant. Chez les jeunes peu qualifiés, l’inégalité de genre face au temps partiel est flagrante…

Je ne parle même pas de la part de femmes qui aspireraient à travailler davantage, mais qui ne le peuvent pas car elles doivent s’occuper des enfants. On peut considérer que le temps partiel est un choix, mais il faut alors se demander pourquoi les hommes n’y aspirent pas plus. Persister dans ces stéréotypes genrés participe de l’inégalité.

On assiste au maintien d’une ségrégation des femmes et des hommes dans les études et dans les métiers exercés

C’est-à-dire ?
Notre société continue d’assigner des rôles différenciés selon le sexe. On assiste au maintien d’une ségrégation des femmes et des hommes dans les études et dans les métiers exercés. Par exemple, les femmes sont très peu présentes dans le secteur de l’informatique ou de la science, où l’on trouve beaucoup de métiers bien rémunérés. Au début des années 1970, ingénieur en informatique faisait partie des métiers émergents, qui étaient enseignés à autant d’hommes que de femmes. Aujourd’hui, les filles ne représentent même pas un tiers des élèves sur les bancs des écoles d’ingénieurs !

En outre, il faut évoquer la division du travail non rémunéré : les tâches domestiques, le soin aux enfants, aux parents âgés, etc. Chez les jeunes couples, on observe davantage de partage des tâches ménagères ou de cuisine. Mais les enfants ou même l’anticipation d’une éventuelle naissance par les employeurs continuent de peser beaucoup plus sur la carrière des femmes. C’est toujours un facteur de discrimination à l’embauche. Par exemple, les jeunes femmes qui achèvent leur cursus d’études sont embauchées tout autant que les hommes du même âge, mais dans des métiers plutôt moins qualifiés…

Le Conseil d’analyse économique a calculé qu’avec la naissance du premier enfant, une femme perd en moyenne 38 % de ses revenus de travail sur les dix années qui suivent, par rapport aux femmes qui n’en ont pas [2] ! Une « pénalité parentale » attribuable en partie au temps partiel, au renoncement à une promotion, à un éloignement du domicile ou même à son emploi, si son conjoint gagne davantage. Le salaire maternel est souvent le salaire sacrifié.

Dès lors, comment agir ?
Je distingue, au niveau des politiques publiques, trois leviers d’action. Le premier est d’améliorer l’accueil des jeunes enfants, en quantité, en qualité et en assouplissant les horaires. Pensons aux métiers de la santé ou de services, massivement occupés par les femmes et désynchronisés par rapport au reste de la société : ils nécessitent des modes de garde adaptés.

Autre levier d’action : l’extension du congé paternité. C’est au moment de la naissance que les écarts (de salaires, d’avancement, de temps passé à la maison) se creusent. Il pourrait être pour partie obligatoire, voire asynchrone avec celui des femmes, pour que les pères apprennent la gestion du quotidien.

Enfin, le point majeur, c’est le rôle de l’école dans l’orientation des filles vers des filières peu féminisées et inversement. Ce, dès le départ ! Ne pas décourager les filles en maths dès le primaire, ni à choisir une filière technique dans un lycée pro, encourager les garçons à choisir des formations du secteur sanitaire et social, apprendre à l’ensemble des élèves à ranger la classe, etc.

Et au sein de l’entreprise ?
On ne peut pas s’en tenir à l’index de l’égalité professionnelle tel qu’il existe dans la loi aujourd’hui. On ne peut pas non plus s’en tenir à un combat pour la parité dans les comités de direction et parmi les cadres. Ça fonctionne, mais ça ne suffit pas. Aujourd’hui, dans les entreprises du CAC 40, il y a davantage de femmes aux postes de dirigeants. En revanche, il n’y a pas de « ruissellement » sur les postes de management et d’encadrement, ni dans les entreprises plus petites.

Il faut aussi regarder la situation des femmes ouvrières et employées et s’attacher à défendre leurs droits, leurs conditions de travail et leur rémunération. Revaloriser les bas salaires participe à l’égalité femmes-hommes, et je dirais que c’est la même chose concernant les conditions de travail dans les métiers féminisés et d’exécution (la prise en compte des temps de déplacement dans les métiers du soin ou de l’aide à domicile, des horaires trop décalés, etc.). La division croissante du travail – entre des sièges sociaux rassemblant les cadres et des unités de production et des sous-traitants qui emploient les moins qualifiés – ne favorise pas un regard global sur les conditions de travail. Au contraire, elle nuit à la justice sociale, au combat syndical et à celui pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Par ailleurs, il convient aussi de lutter fermement contre les violences sexistes et sexuelles au quotidien.

Décelez-vous une réelle volonté de changer les choses sur le sujet ?
Je suis optimiste. Même s’il y a beaucoup de sujets d’inquiétude, cette volonté collective est manifeste. Quand on pose la question : « Dans l’idéal, les femmes devraient-elles rester à la maison pour élever leurs enfants ? », 80 % des sondés déclarent aujourd’hui qu’ils ne sont pas d’accord. On l’a peut-être oublié mais, en 2000, les réponses étaient à 50-50. Bien sûr, c’est lent, et cette lenteur génère de la frustration. Il faut, en tant que parent, en tant qu’employeur, en tant que syndicaliste et en tant qu’élu, nous saisir beaucoup plus largement des questions d’égalité professionnelle et lutter contre les stéréotypes au quotidien !

Stéphanie Baranger et Maud Vaillant
Extrait de « La ségrégation se maintient », La vie en bleu CFTC, CFTC, mars 2025.

Photo / © Pierrick Greibill


[1Obligatoire pour toutes les entreprises d’au moins 50 salariés, ce score est établi principalement sur l’écart de rémunération entre femmes et hommes à niveau hiérarchique et tranche d’âge identiques. Il comporte également d’autres critères, tels que la répartition entre femmes et hommes des augmentations individuelles et des promotions par exemple.

[2Voir « Égalité hommes-femmes : une question d’équité, un impératif économique », Emmanuelle Auriol et al., Les notes du conseil d’analyse économique n° 83, CAE, novembre 2024.

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Date de première rédaction le 16 avril 2025.
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