Point de vue

Pauvreté : ce que devrait faire le gouvernement

Pour réduire la pauvreté, développer l’emploi au rabais ne marche pas. Il faut relever les minimas sociaux, développer l’emploi de qualité et améliorer les services publics. Les propositions de Guillaume Allègre, économiste à l’OFCE.

Publié le 3 octobre 2024

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Depuis 2017, la stratégie principale de l’ancienne majorité pour lutter contre la pauvreté a été l’insertion par l’emploi. Son échec était prévisible. Certes, l’emploi a augmenté – le taux d’emploi de la population d’âge actif est passé de 65,5 % en 2017 à 68,1 % en 2022 – et le taux de chômage a baissé. Mais le taux de pauvreté a également crû pendant cette période : de 13,8 % en 2017 à 14,4 % en 2022.

Prévisible, car la politique de l’emploi s’est appuyée sur la baisse du pouvoir de négociation des travailleurs avec la réforme du Code du travail de 2017, celle de l’assurance chômage, ou encore la loi pour le plein-emploi, conditionnant le RSA à 15 heures d’activité. Le choix délibéré de l’emploi à tout prix - mais surtout d’emplois à bas coût - débouche sans surprise, sur une augmentation des inégalités de revenus et donc de la pauvreté, malgré la baisse du chômage et de l’emploi précaire. Entre 2020 et 2022, la hausse de la pauvreté concerne toutes les catégories (chômeurs, actifs en emploi, inactifs, enfants, …).

Cette évolution n’est pas étonnante dans la mesure où, au niveau international, le lien entre inégalités et pauvreté d’une part, emploi et chômage de l’autre, est faible. Les États-Unis, par exemple, cumulent faible chômage et fortes inégalités. Historiquement, la France allie quant à elle chômage élevé et inégalités relativement basses. Au milieu des années 2000, l’Allemagne a vu le chômage fortement diminuer…, et les inégalités et la pauvreté, croître. La France semble avoir pris avec retard une voie similaire, avec des conséquences identiques en termes de pauvreté et il n’est pas dit que les autres aspects de la « réussite » allemande aient pu être répliqués.

Le prochain gouvernement devrait prendre au sérieux l’objectif de lutte contre la pauvreté. Celle-ci est définie par le manque de ressources ; elle est causée par le manque d’accès aux ressources, sauf à penser que la pauvreté soit volontaire. Ce combat doit s’appuyer sur trois piliers, permettant d’augmenter l’accès aux ressources : redistribution monétaire, marché du travail et services publics.

Dans une économie de marché, une lutte efficace contre la pauvreté s’appuie en premier lieu sur la redistribution monétaire. Il est ainsi primordial de donner des ressources monétaires aux pauvres afin de lutter contre le cercle vicieux de la pauvreté.

Parler de politique préventive plutôt que curative, comme l’a fait en permanence l’ancienne majorité, est la tarte à la crème du discours politique. Si vous allez chez le médecin avec une fièvre, ce n’est pas essentiellement pour chercher des conseils préventifs mais pour être guéri. Le paracétamol fait baisser la fièvre. Certes, il ne s’attaque qu’au symptôme, mais le symptôme pourrait vous tuer, ce qui ne serait pas la meilleure voie vers la guérison. De même que faire baisser la température participe à la guérison, accorder des ressources aux pauvres leur permet de faire les investissements nécessaires pour s’en sortir. Pour lutter contre la pauvreté, il faut donc revaloriser le RSA jusqu’à un niveau décent – l’indexer sur les niveaux de vie de la population dans son ensemble – et ouvrir l’éligibilité aux 18-25 ans ayant quitté le foyer de leurs parents.

Une stratégie sérieuse de lutte contre les inégalités et la pauvreté doit redonner du pouvoir de négociation aux plus faibles en revenant sur les aspects les plus mauvais, pour les salariés, des lois qui ont dérégulé le marché du travail en 2016 et 2017, ainsi que sur la réforme de l’assurance chômage qui réduit l’indemnisation du chômage.
La protection de l’emploi, l’assurance chômage, font partie d’un ensemble de mesures de redistribution efficaces. Avec les bonnes régulations, il est possible de donner du pouvoir aux travailleurs de façon à la fois à réduire les inégalités (par la représentation des salariés dans les conseils d’administration des entreprises par exemple) et augmenter l’efficacité économique en améliorant l’adéquation entre travailleurs et entreprises. Il s’agit d’un côté, par une réforme de l’assurance chômage, de donner davantage de temps aux travailleurs pour chercher l’emploi qui leur convient le mieux et, de l’autre côté, avec une politique économique, de viser le plein-emploi.

Donner du pouvoir aux travailleurs, c’est aussi renforcer le droit au passage au temps plein pour les salariés précaires. Pour cela, il faut redéfinir les obligations des employeurs en termes de conditions de travail, notamment dans le secteur de la propreté, de l’hôtellerie-restauration, des services à la personne, du bâtiment, afin de réduire le temps de travail incomplet contraint et les maladies professionnelles.

Enfin, si l’idée est de s’attaquer aux causes profondes des inégalités, on peut convenir que s’attaquer au seul chômage est un peu court. Pour paraphraser l’ancien Premier ministre Lionel Jospin , l’emploi ne peut pas tout. Ceux qui veulent en finir avec le capitalisme pointeront la propriété privée comme cause initiale des inégalités. Mais si l’on souhaite malgré tout rester dans le cadre d’une économie de marché, il faut se souvenir que les services publics (éducation, santé, logement, transports) sont la richesse des dépossédés.

Guillaume Allègre
Économiste à l’OFCE. Auteur notamment de : Comment verser l’argent aux pauvres, PUF, 2024.

Cet article est extrait de « Ce que devra faire un gouvernement non démissionnaire sur la pauvreté », www.alternatives-economiques.fr, 3 septembre 2024.

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Date de première rédaction le 3 octobre 2024.
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